Violences policières : quelles solutions ?

13 mai 2023

Les violents heurts qui ont eu lieu récemment en France entre manifestants et forces de l’ordre ont relancé le débat sur les violences policières. Quelles mesures sont efficaces face à l’usage abusif de la force ? Si le sujet suscite beaucoup d’opinions divergentes, un point semble mettre tout le monde d’accord.

Les violents heurts qui ont eu lieu en France ces dernières semaines entre forces de l’ordre et manifestants dans le cadre du mouvement social d’opposition au projet de réforme des retraites ont relancé la polémique sur ce qui est communément appelé dans les médias les « violences policières ». Cette question n’est pas nouvelle : elle fait débat depuis quelques années, et notamment depuis les manifestations contre la « loi Travail » en 2016 et le mouvement des « Gilets jaunes » en 2018.

Les forces de l’ordre ont le droit de recourir à la force pour faire respecter la loi, mais l’usage de la force n’est autorisé qu’en cas d’absolue nécessité, et doit être gradué et toujours réversible. Où cesse l’usage légitime de la force, et où commence la violence abusive ? Existe-t-il des solutions pour garantir un maintien de l’ordre sans morts ni blessures, au sein de la population et des forces de l’ordre ? A titre d’exemple, entre 2000 et 2019, 71 personnes ont été grièvement blessées par l’usage de lanceurs de balles de détresse, dont 48 ont été éborgnées ou ont perdu tout ou partie de l’usage d’un œil ; 8 mains ont été arrachées par des grenades lacrymogènes instantanées.

Soulever la question des violences illégitimes exercées par les forces de l’ordre, ce n’est pas être « anti-police » ou « anti-gendarmerie », au contraire : le maintien de la confiance dans les institutions nécessite que tout usage abusif de la force soit dénoncé et que des solutions soient recherchées. Il s’agit de trouver un équilibre subtil entre la protection des droits et libertés des citoyens, la préservation de leur intégrité physique, et la préservation des membres des forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction.

Les dérives violentes : un phénomène complexe

J’ai cherché à mieux comprendre la réalité du phénomène. Adoptant mon approche habituelle pour me forger une opinion sur un sujet polémique, j’ai consulté des sources de nature différentes et offrant donc une grande variété de perspectives sur le sujet : associations de défense des droits humains comme l’Action Chrétienne Contre la Torture ou Amnesty International, Ministère de l’Intérieur, Inspection Générale de la Police Nationale, syndicalistes, chercheurs….  Il faudrait beaucoup de temps pour synthétiser les enseignements de ces lectures (j’essayerai de le faire dans une prochaine Lettre d’Information), mais une chose m’a frappée : même si leurs avis divergent sur de nombreux aspects (comme par exemple les types d’armes pouvant être utilisées par les forces de l’ordre), ces sources insistent toutes sur le rôle de la formation des agents des forces de l’ordre. J’ai donc choisi de me concentrer sur ce sujet.

La formation, un rempart indispensable contre la violence

L’Action Chrétienne Contre la Torture (ACAT) souligne que « Le maintien de l’ordre relève de choix politiques, tant en matière de moyens alloués à la formation des forces de l’ordre et des armes qui sont mises à leur disposition, qu’en matière d’acceptation des différents mouvements de contestation.” Dans son rapport 2021, l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) indique que la formation (initiale ou continue) des agents n’est pas suffisante, notamment la formation en déontologie.

L’ACAT et l’IGPN se rejoignent donc sur la nécessité de renforcer la formation des forces de l’ordre. D’après l’ACAT, cette formation, régulièrement actualisée, doit porter sur le maniement des armes, létales ou non, ainsi que sur les conséquences de leur usage. L’IGPN souligne que la compréhension de ce qu’est un usage disproportionné de la force s’intègre aux formations sur les Armes de Force Intermédiaire (AFI). Ces armes sont très utilisées dans les opérations de maintien de l’ordre. Face aux problèmes de violence constatés lors des opérations de maintien de l’ordre lors des manifestations, l’ACAT recommande également de « ne faire intervenir que des agents suffisamment formés au maintien de l’ordre », et d’améliorer leur formation afin de mieux prendre en compte « les évolutions des manifestations ». Enfin, l’ACAT recommande que « la formation des agents ne se limite pas aux questions d’usage de la force, mais intègre plus largement des enseignements plus variés, sur les techniques de communication ou sur la psychologie des foules par exemple », et qu’elle s’ouvre « à d’autres corps de métiers, à la recherche et au monde associatif ».

Interrogé par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité en avril 2019, Richard Lizurey, ex-directeur général de la gendarmerie nationale, a indiqué : « Le maintien de l’ordre est un métier pour lequel il faut être formé. Un individu qui n’a pas reçu la formation adéquate peut présenter un danger pour la sécurité des personnes, aussi bien celle des manifestants que celle des forces de l’ordre. »

Au-delà des formations spécifiques dans l’utilisation de certaines armes ou les techniques de maintien de l’ordre, c’est plus généralement la formation en déontologie, essentielle à la bonne compréhension des règles et devoirs incombant aux forces de l’ordre, qui est indispensable pour limiter les risques de dérives violentes. Cité dans le rapport 2021 de l’IGPN, Grégory Joron, Secrétaire général du syndicat Unité SGP Police, souligne : « De manière générale, la formation des agents ne nous semble pas suffisante, particulièrement la formation continue. Pour ce qui est de la formation sur la déontologie, elle ne l’est pas plus. ».

Si le constat sur les lacunes de la formation et leur rôle dans les violences semble largement partagé, je n’ai pas trouvé de données chiffrées portant sur les forces de l’ordre françaises qui permettent d’établir un lien clair entre formation et réduction des violences policières. En revanche, j’ai trouvé un exemple intéressant à l’étranger : la police de Marietta, aux Etats-Unis, a lancé en 2020 une initiative intéressante pour réduire le recours à la force chez ses agent. Elle leur a proposé une formation dans un sport de combat, le jiu-jitsu brésilien (JJB). L’objectif de cette formation est d’enseigner aux agents des techniques leur permettant des maîtriser des suspects sans avoir recours à un taser ou à d’autres types d’armes ou méthodes pouvant causer des blessures. Environ 65% des agents ont fait entre 1 et 3 séances par semaine de JJB. Les statistiques des 18 mois suivants le début de cette formation ont montré un impact très positif de l’entraînement au JJB sur la diminution de la violence lors des arrestations pratiquées par la police de Marietta. En effet, les agents qui se sont entraîné au JJB ont subi moins de blessure et en ont infligé moins lorsqu’ils ont dû recourir à la force lors d’une arrestation, par rapport à leurs collègues qui ne s’entraînaient pas :

  • Aucun des agents pratiquant le JJB n’a été blessé (alors que 15 agents ont été blessés sur l’ensemble du département).
  • Lors des arrestations pratiquées par des agents s’entraînant au JJB, le taux de blessures graves chez les personnes arrêtées a été inférieur de 53% par rapport aux arrestations pratiquées par des agents ne s’entraînant pas.
  • Les agents s’entraînant au JJB ont utilisé leur Taser 23% moins que les autres agents.

Si cette initiative est trop limitée pour permettre de conclure de façon définitive, elle constitue malgré tout un indicateur très pertinent sur le rôle positif de la formation dans la diminution des violences exercées par les forces de l’ordre. Il serait intéressant de voir les résultats d’autres expérimentations de ce type.

Sources :

  • “Manifestations en France : un recours excessif à la force et aux arrestations abusives” – Amnesty International – 23 mars 2023
  • « La militarisation du maintien de l’ordre en France : vers une dérive autoritaire ? » – The Conversation – – Bryan Muller – 10 avril 2023 
  • « Maintien de l’ordre : une doctrine en débat » – Rédaction de vie-publique.fr – 16 décembre 2021
  • « Maintien de l’ordre : à quel prix ? » – Rapport d’enquête – Marion Guémas – ACAT – Mars 2020
  • « Formation insuffisante, hiérarchie absente, déni des violences : ces maux qui minent la police » -Antoine Terrel – Europe 1 – 27 novembre 2020
  • « Schéma National du Maintien de l’Ordre » – Ministère de l’Intérieur (France) – Décembre 2021
  • « Le maintien de l’ordre en France : sortir du discrédit » – Jean-Régis Véchambre – Revue de la Gendarmerie Nationale – 1er trimestre 2020
  • « BJJ training data documents reduction in injuries » – 8 février 2021 https://www.mariettaga.gov/CivicAlerts.aspx?AID=3116

Auteure : Laure Oudet-Dorin

Illustration : sculpture de Ronald Gonzalez

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