Comment les violences de l’enfance menacent notre santé d’adulte

20 mai 2023

190% : c’est l’augmentation du risque de développer un cancer quand on a subi des violences dans son enfance. Et la hausse du risque existe pour bien d’autres maladies : maladies pulmonaires (390%), attaque cardiaque (220%), AVC (218%), insuffisance rénale (263%) … . Sachant qu’en France, près d’une personne sur 4 dit avoir été victime de maltraitance (viol, attouchement sexuel, coups, menaces…) durant son enfance, cela donne des perspectives bien sombres sur le plan humain et pour les dépenses de santé publique.

Pire encore, cette dimension ne semble pas prise en compte par les professionnels de santé : d’après mon expérience personnelle – et je ne crois pas être une exception – l’immense majorité des médecins, généralistes ou spécialistes, ne posent aucune question sur le passé de leur patient. Comment, dans ces conditions, évaluer de façon efficace le risque de voir survenir certaines maladies chez les patients, et les soigner efficacement ?

Pourtant, la mise en évidence du lien entre traumatismes de l’enfance et risques sur la santé à l’âge adulte n’est pas nouvelle. Il existe désormais de nombreuses références scientifiques sur les conséquences à long terme de ces traumatismes. Les violences font partie des Expériences Adverses vécues dans l’Enfance (ACEs – acronyme de Adverse Childhood Experience), qui correspondent à des événements particulièrement stressants, voire potentiellement traumatiques, auxquels une personne est confrontée durant ses 18 premières années d’existence (maltraitance, divorce ou maladie mentale des parents, etc).

Ces références scientifiques démontrent les conséquences mentales, comportementales mais aussi physiques des violences à long terme :

  • Conséquences sur le plan mental et comportemental : la dépression, la tentative de suicide, l’addiction (au tabac, à la drogue ou à l’alcool), ou encore les comportements sexuels à risques (partenaires multiples, grossesses précoces etc). Ainsi, avoir subi des violences dans l’enfance augmente de 555% le risque d’être alcoolique.
  • Conséquences physiques : maladies auto-immunes, obésité, troubles cardio-vasculaires, cancers, diabètes, douleurs chroniques inexpliquées…toutes ces maladies sont sur-représentées chez les adultes ayant subi des traumatismes de toutes natures dans leur enfance. Et on pourrait sans doute en citer beaucoup d’autres. Ainsi, une étude sur l’endométriose a montré que le risque d’endométriose est 79% plus élevé chez les femmes signalant qu’elles ont subi, dans leur enfance et leur adolescence, des violences chroniques graves (sexuelles et/ou physiques).

Les personnes ayant vécu au moins 4 traumas/ACEs durant l’enfance perdent en moyenne 20 ans d’espérance de vie.

Les conséquences à long terme ne dépendent pas du type de traumatisme subi mais de la fréquence de survenue de celui-ci. Ainsi, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les violences physiques ou sexuelles ne sont pas nécessairement plus graves que les négligences ou les violences verbales. Ce qui compte, c’est la répétition des violences, quelle que soit leur forme. Plus les traumas dans l’enfance se cumulent, plus les conséquences à l’âge adulte sont graves sur la santé mentale et physique.

Comment expliquer la gravité de ces conséquences à long terme ?

Même sans comportement à risque, une exposition continue ou répétée à la violence augmente la probabilité d’une maladie ultérieure. Ainsi, une étude a montré que l’infarctus du myocarde se révélait plus fréquent chez les hommes ayant été victimes d’abus sexuels dans l’enfance que chez ceux n’en ayant pas souffert. Et ce, alors même que les autres facteurs de risque cardiovasculaire (tabagisme, sédentarité, etc.) et l’état de santé psychique (anxiété, dépression) étaient comparables. Les troubles psychiques et les comportements à risque pour la santé ne sont donc pas seuls en cause dans le risque accru de maladies chez les victimes de violences dans l’enfance. Il semblerait que les violences vécues dans l’enfance endommagent directement le bon fonctionnement du cerveau et du corps.

L’exposition précoce à la violence semble avoir des répercussions sur des régions cérébrales en plein développement durant l’enfance et l’adolescence, notamment sur celles qui sont impliquées dans la gestion des émotions et la régulation du stress. Les enfants victimes de violence développent une hypersensibilité au stress. Cette hypersensibilité au stress, parce qu’elle entraîne une forme d’usure de l’organisme, contribue à endommager non seulement le cerveau, mais aussi le système cardiovasculaire, le système immunitaire, les systèmes hormonaux et même l’ADN.

Les expériences traumatiques précoces affectent la production d’hormones de stress et les réponses inflammatoires dans le corps, qui favorisent ensuite certaines maladies. Face à une menace perçue, le système de réponse au stress du corps s’active et le cerveau libère des hormones comme le cortisol et l’adrénaline qui inondent le corps. Le rythme cardiaque s’accélère et la pression artérielle augmente. Normalement, le système s’éteint lorsque la menace s’éloigne. Mais lorsque ce système est laissé allumé de façon répétée (ce qui est le cas lorsque la violence devient chronique), il ne peut pas se mettre au repos. C’est là que le système immunitaire commence à s’affaiblir et que la probabilité de nombreuses maladies augmente considérablement.

Prenons un exemple : les violences subies dans l’enfance favorisent l’addiction au tabac, qui augmente de 242%. On comprend alors que le risque de cancer du poumon soit augmenté. Mais le comportement n’est pas seul en cause : un contexte de stress chronique entraîne aussi la mauvaise lecture de la protéine oncogène p53, qui augmente à son tour le risque de cancer, indépendamment du tabac.

La nécessité d’agir

Prendre conscience des conséquences à long terme des violences vécues dans l’enfance ne doit pas nous faire percevoir la violence comme un engrenage dont on ne sort jamais, mais au contraire nous pousser à agir plus efficacement, sur deux axes :

  • Favoriser le repérage et la prise en charge des enfants victimes de violence le plus tôt possible. Heureusement, les conséquences des violences subies dans l’enfance peuvent ne pas être irréversibles. Le soutien chaleureux qui peut être apporté par un adulte bienveillant à l’enfant victime de violence lui permettra de se reconstruire. C’est pourquoi il est essentiel que la communauté qui entoure un enfant repère toute forme de maltraitance pour intervenir immédiatement afin d’éviter la violence répétée, et limiter ainsi le risque de conséquences graves à long terme.
  • Intégrer le lien entre violence dans l’enfance et maladie à l’âge adulte dans la prévention et la prise en charge de certaines pathologies. Cela permettrait de proposer aux patients qui ont été victimes dans l’enfance une évaluation plus précise des risques sur leur santé puis un accompagnement plus complet, qui aura donc de meilleures chances de réussir. Pourquoi les questionnaires ACE ne sont-ils pas systématiquement utilisés par les médecins ?

De telles mesures sont indispensables pour les victimes mais aussi pour la société dans son ensemble, tant le coût humain et financier de ces violences est considérable. Je n’ai pas trouvé de chiffres pour la France, mais aux Etats-Unis, les dépenses liées aux violences infligées aux enfants ont été estimées en 2012 à 124 milliards par an (soins pédiatriques, soins aux adultes, pertes de productivité, protection de l’enfance, frais de justice, services éducatifs).

Information utile : Numéro d’appel destiné à tout enfant ou adolescent victime de violences ou à toute personne préoccupée par une situation d’enfant en danger ou en risque de l’être.

  • Par téléphone de France
    • 119 (appel gratuit et confidentiel)
    • 24h/24 et 7 jours/7
    • Le 119 n’apparaît pas sur les relevés de téléphone.
  • Par téléphone de l’étranger
    • 01 53 06 38 94

Sources:

  • « Pédiatrie médico-légale – Mineurs en danger : du dépistage à l’expertise pour un parcours spécialisé protégé » – Ouvrage coordonné par Martine Balençon – Editions Elsevier Masson – 2020
  • « Les stress de l’enfance menacent-ils notre cœur d’adulte ? » –  Cyril Tarquinion, Marie-Louise Tarquinion, Muriel Jacquet-Smailovic – The Conversation – 11 Mai 2021
  • «Adverse Childhood Experiences: When Will the Lessons of the ACE Study Inform Societal Care?» – Joshua Kendall – Made In America – 26 mai 2019

Auteure : Laure Oudet-Dorin

Illustration : Les Jeux terribles, peinture de Giorgio de Chirico (original en couleur)

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